Le Chevreuil Sans Tête
- spinachprod
- 18 avr.
- 3 min de lecture
Comment viennent les idées ?
Parfois, un détail suffit. Une image, un souvenir, une scène vécue… et tout s’éclaire.

Comment ne pas être frappée par le détail de ce retable du XIVe siècle, alors que je travaille sur l’écriture de mon scénario ? Il s’agit d’un cerf blanc, mais ses bois ne sont plus visibles sur la peinture, et j’ai cru voir un chevreuil.
Le diptyque de Wilton est un petit retable portatif constitué de deux panneaux articulés, peints des deux côtés, réalisé vers 1395-1399 par un maître anonyme, probablement anglais ou français. Représentatif du style gothique international, il est l’une des rares peintures religieuses anglaises du Moyen Âge tardif qui nous soient parvenues. Le diptyque, vraisemblablement commandité par Richard II d’Angleterre pour ses dévotions personnelles, représente ce dernier, agenouillé sur le panneau de gauche, face à la Vierge à l’Enfant entourée de onze anges, sur le panneau de droite. Il est aujourd’hui conservé à la National Gallery de Londres.
Cela me rappelle que les chevreuils traversent tout le corps de mon film, d’où ce titre : Le Chevreuil Sans Tête. Pourquoi ?
L’idée d’en faire un élément central m’est venue à la Pointerie, lors d’un moment à la fois vécu et filmé. Ce jour-là, Chloé et Vincent sont arrivés avec un chevreuil décapité sur le capot de leur voiture. Ils l’avaient trouvé sur le bord de la route, sans tête. Probablement percuté par une voiture, puis décapité (?!). Pourquoi ? Comment ? Un chasseur en mal de trophée, peut-être ? Il est vrai qu’il y a quelques taxidermistes dans la région… notamment au Z’uns Possible, le cabinet de curiosités de Chamesson.
La bête gisait là depuis trop longtemps pour être mangée, alors ils ont décidé d’en tanner la peau et de l’enterrer à la Pointerie, après une petite cérémonie… J’ai filmé tout ça dans mon journal filmé (voir les vidéos ci-dessous).
Le plus curieux, c'est que lors de mon premier séjour, alors que je cherchais quelque chose à lire dans la bibliothèque d'Antoine Boute, il m'a conseillé de lire
"L'homme-chevreuil, sept ans de vie sauvage" de Geoffroy Delorme.
L’addition de ces deux sources d’inspiration — la lecture du livre et ce moment vécu — m’a donné des idées fortes pour la narration, le personnage principal et le titre.
ANGEL, une sorte de Boudu sauvé des eaux contemporain, débarque à la Pointerie, blessé. Il n’a pas de domicile fixe, erre dans les campagnes françaises, vivant de glanage, de chapardage et de petits boulots saisonniers. On ne sait rien de lui, et il ne dit pas grand-chose de son parcours. Mais il raconte, à ceux qui veulent bien l’écouter, avoir vécu longtemps avec des chevreuils. « C’était sa famille », dit-il. Depuis, il déteste les chasseurs.
Quand il assiste à l’écorchement de la bête (qu’il faudra rejouer pour la fiction), quelque chose de profond se déclenche en lui — un trouble qui annonce le climax du film. Le fait que la tête du chevreuil soit absente le hante. L’idée qu’elle ait pu devenir un trophée le rend fou.

Cette obsession, tout comme sa relation au vivant, est au cœur de la dimension écologique du film. Le Chevreuil Sans Tête raconte aussi, à travers Angel, une autre manière d’habiter le monde — en lien avec les bêtes, les morts, et les lieux que l’on tente de transformer. Le film questionne ce que nous faisons de ce qui reste, et ce que cela dit de nous.
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