Tirer dans les horloges.
- spinachprod
- 22 avr.
- 3 min de lecture

La fin d'un film, c'est un peu le sens du film. Ce qui reste dans le souvenir des gens en sortant de la salle et bien après. C'est aussi pour le scénariste bien avançé dans son travail, ce sentiment très agréable d'être dans le bon, de creuser son sillon, d'avancer dans la bonne direction.
Selon mon expérience, il vaut mieux ne pas se lancer dans la rédaction d'une continuité dialoguée si on n'en connait pas déjà la ( bonne) fin ou si cette fin provisoire qu'on a écrite dans un synopsis ou un traitement semble manquer de quelque chose...d'important.
Aussi, j'ai pris mon temps pour trouver la bonne. J'en ai eu plusieurs. C'était "jamais ça".
Puis un jour, en assistant à un cours sur le concept d'histoire de Walter Benjamin à l'Université de Namur, le déclic, l'étincelle...Eureka!
Je voyais déjà la scène : mon personnage principal, Angel, tire à la carabine 22 long sur l'horloge de l'église de Chamesson, lors d'une fête de village.
Puis il s'en va comme il est arrivé...comme un cow-boy sorti de nulle part.
Le concept d'histoire est assez difficile à expliquer sur une page de blog, mais j'ai trouvé une émission radio qui le fait très bien en 3'30'', dont voici la transcription. (le lien vers l'émission)
Pourquoi a-t-on tiré sur des horloges à différents moments de révolte ?
On dit parfois que l'objet de l'histoire, c'est le temps. Encore faudrait-il préciser ce que l'on entend par ce mot. Dans ses réflexions sur le concept d'histoire, le philosophe Walter Benjamin avait critiqué la définition courante du temps, telle que le mesurent nos montres et nos chronomètres.
Selon lui, les horloges rendent compte d'une temporalité vide, celle d'un temps homogène, purement mécanique, toujours égal à lui-même. Karl Marx avait montré, dès le XIXe siècle, comment le capitalisme s'est emparé du temps pour soumettre les prolétaires à la cadence infernale des machines. Pages prémonitoires quand on connaît l'histoire du taylorisme qui a abouti à la décomposition et au chronométrage des gestes des ouvriers travaillant à la chaîne.
Comme l'a noté Michael Löwy dans son commentaire du texte de Walter Benjamin, les peuples qui se sont engagés dans des luttes révolutionnaires ont eu, tout au long de l'histoire, "une conscience plus ou moins nette de saper par leur action le temps homogène de l’histoire". C'est l'une des leçons que l'on peut tirer de la Révolution française, puisque le calendrier révolutionnaire décréta l'avènement d'une ère nouvelle.
La révolution des "trois glorieuses"
Le rejet le plus explicite du temps mécanique de la pendule se produisit lors de la révolution des "trois glorieuses" du 27 au 29 juillet 1830. Auguste Barthelemy et Joseph Mery, deux Marseillais qui vivaient à Paris, furent témoins de cet événement. Il leur inspira un poème dont voici un extrait:
"Ah ! sur Paris encor qu’un beau soleil demeure ;
Qui le croirait ! on dit qu’irrités contre l’heure,
De nouveaux Josués, au pied de chaque tour,
Tiraient sur les cadrans pour arrêter le jour".
Dans une note, les deux poètes ajoutaient: "C’est un trait unique dans l’histoire d’une insurrection ; c’est le seul acte de vandalisme exercé par le peuple contre les monuments publics, et quel vandalisme ! qu’il exprime bien la situation des esprits au 28 au soir ! avec quelle rage on regardait tomber l’ombre, et l’impassible aiguille, marcher vers la nuit comme dans les jours ordinaires ! Ce qu’il y a de plus singulier dans cet épisode, c’est qu’on a pu le remarquer à la même heure, dans différents quartiers ; ce ne fut pas une idée isolée, un caprice d’exception, mais un sentiment à peu près général". (...)
Bibliographie :
Walter Benjamin, Sur le concept d'histoire , Paris, Payot, 2013, traduction Olivier Mannoni (première édition 1942)
Michael Löwy, Walter Benjamin : Avertissement d'incendie, une lecture des thèses "Sur le concept d'histoire", Paris, PUF, 2001
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